Tout a commencé par un beau dimanche de juin dernier chez les parents de Nicolas.
Toute la famille et aussi quelques proches étaient réunis pour le déjeuner. Maman Sarkozy avait fait une poularde aux morilles qui avait fait la joie de tous. Mais le fraisier était définitivement trop crémeux. Et Nicolas se sentait mal. Il avait trop mangé et Carla ne manquerait sans doute pas de le lui reprocher : si
ça se trouve, elle le priverait même de Stade 2. Nicolas profita que Carla et Enrico se disputaient vigoureusement une guitare afin de démarrer chacun un mini récital (que tout le monde craignait, quelque soit le vainqueur) pour déserrer un cran de sa ceinture. Un peu soulagé, il enleva de sous ses fesses le bottin que sa mère continuait de mettre sur sa chaise chaque fois qu’il s’installait à la table familiale.
- Mais maman, j’ai 54 ans !
- Oui, mais tu as si peu grandi…
Débarrassé de son réhausseur France Télécom, Nicolas pris appui sur le parquet pour repousser sa chaise en soupirant. Décidément, il se sentait mal. Pourquoi avait-il tellement mangé, lui qui déteste ça d’habitude ?! Le stress, probablement ?! Pourtant, il avait eu la confirmation dans la semaine qu’il assisterait le mois prochain à une étape du Tour du France et surtout, la veille, il était parvenu à subtiliser un Mont-blanc « Toscanini » à Fillon, donc tout allait bien !
Maman Sarkozy lui tendit une tasse de café fumante.
- Tiens, mon chéri.
Elle dévisageait son fils, un peu inquiète.
- Nini…Tout va bien ? Tu as l’air soucieux… Carla ne veut pas dormir à côté de ta collection intégrale de cadeaux Bonux, c’est ça mon chaton ?!
Nicolas lui sourit.
- Ca va, maman…
Dans le brouhaha des conversations, l’esprit un peu embrumé par le Saint-Émilion, Nicolas entendit un mot qui retint son attention : « chômage ». Nico se souvint brutalement que c’était justement l’un des mots clés de son programme présidentiel, avec cette étrange formule qu’il trouvait régulièrement dans les beaux discours qu’il devait lire : « éradiquer le chômage ! ». A force, il était presque sûr qu’éradiquer devait signifier combattre ou supprimer, un truc de ce genre…
Nicolas prit une gorgée. Le goût prononcé du café associé au mot « chômage » déclencha chez Nico une soudaine excitation : Il se sentit tout à coup prêt à passer l’action. Une envie irrépressible, la même qui s’empare de lui lorsque Carla, de retour d’escapade nocturne, se glisse dans les draps, seulement vêtue de son déshabillé fuschia…
Nicolas tourna la tête et aperçu son fils Pierre. Ce dernier n’avait pas lâché son énorme casque audio de tout le repas et dodelinait de la tête, écoutant en boucle sa dernière production rap. Les rapports entre Pierre et son père étaient tendus depuis que celui-ci avait cru bon de lourdement insister pour que son fils produise un album de Mireille Matthieu, dont la carrière battait de l’aile. Le regard de Nic se posa sur son autre fils, Jean, hilare, à cause d’une blague toute pourrie qu’il venait de sortir, expliquant qu’« il avait bien le droit de ne pas aller en cours de droit »… Il croisa alors, un peu effrayé, le regard noir de son père.
Nicolas réalisa qu’il avait devant lui l’exemple idéal pour commencer à éradiquer le chômage, notamment celui des jeunes désoeuvrés, car désoeuvré, son fils l’était oh combien ! Il se souvint que l’année dernière, à peu près à la même époque, il avait surpris son fils en train de tenter de réparer la roue de son scooter, utilisant pour caler son engin, son code civil Dalloz, encore sous cellophane alors que l’année universitaire venait de prendre fin !
- S’il est si important que ça d’éradiquer le chômage, autant commencer par mon fils ! se dit logiquement ce bon père de famille.
Il chercha aussitôt une idée pour empêcher sa progéniture de pointer bientôt au Pôle Emploi de Neuilly. Il réfléchit quelques instants, cherchant quelque chose de remarquable sur son fils qui aurait pu le guider, lui donner une piste.
Nicolas constata avec effroi qu’il avait peu de souvenirs de cet énergumène, sinon qu’il avait été surpris d’apprendre que Jean avait renoncé à sa carrière de comédien alors que Nicolas lui avait pourtant appris - logiquement - toutes les ficelles du métier d’homme politique...
Nicolas ruminait ainsi le sombre destin de son deuxième fils, Enrico d’un coup de coude sournois au
foie, avait finalement arraché de justesse la guitare des mains de Carla, et, triomphant, s’apprêtait à entonner : « Ah qu’elle sont jolies les filles de mon pays ! » ; quand soudain, la lumière fût dans le petit cerveau du Petit Nicolas : il se rappela qu’un matin de Noël, Jean devait avoir 6 ou 10 ans, il avait réalisé une belle tour en Lego…
- Et bien voilà ! L’EPAD, ce sera parfait !
Nicolas dégaina son téléphone portable de son ceinturon et appela Patrick et Isabelle Balkany pour leur annoncer la nouvelle.
P.S. : Si Nicolas a en fin de compte renoncé à son projet, c'est qu'il s'est aperçu rétrospectivement que son souvenir concernait Louis et non Jean...