J’adore le son. J’adore les sons. Je crois que je préfère le son à l’image. Bien sûr, ce qu’il y a de
magnifique au cinéma, c’est le subtil mariage des deux, je dirais même l’accouplement… L’image, ce serait plutôt l’homme alors que le son, lui, est résolument féminin. Je m’étais fait cette réflexion en plein tournage d’un film sur pellicule que je réalisais au début des années 90. L’équipe image, comme sur tous les tournages, occupait presque tout l’espace et nécessitait beaucoup de temps : pour faire de l’image, il faut au minimum un camion de lumière, de la machinerie, une équipe image conséquente (chef opérateur, premier assistant opérateur, deuxième assistant opérateur, électriciens, machinistes…). De même faire une image soignée nécessite beaucoup de temps. A côte de ça, vous avez l’équipe son composée seulement d’une, maximum deux personnes ! On peut ainsi observer sur chaque tournage, l’ingé. son ou son assistant qui, avec un maximum de discrétion, s’en ira placer sa perche ou ses micros-cravates en quelques secondes. Car l’équipe son, tout en modestie et en légèreté, sait bien que la plupart du temps, elle ne compte pas vraiment, le réalisateur faisant la plupart du temps la part belle uniquement au Dieu Image*…
Mais quelques semaines plus tard, au mixage, le son/femme prendra une éclatante revanche. Alors que l’image/homme sera cette fois « bêtement » figée, on pourra peaufiner tout à loisir la bande son à l’aide d’ambiances, de bruitages, d’effets subtils et ensorcelants. Il s’agira d’une véritable écriture de la bande son, ce que l’on appelle le « sound design », pour moi la partie la plus enthousiasmante de la réalisation d’un film : si vous me faites entrer dans une sonothèque avec un film à sonoriser, il sera très difficile de m’en faire sortir ! Quoi de plus jouissif que de partir à la chasse au son… Ce peut-être un son très banal, par exemple une ambiance ville nuit. Oui mais il y en a des milliers et il faudra trouver la meilleure, la seule adéquate pour le plan en question. Et ainsi de suite pour les dizaines de sons du film…
Quand je pense que je vous raconte tout ça à cause d’un moulin à poivre…
Ben oui, samedi, je ne savais pas encore pourquoi, je me suis levé avec l’envie irrépressible d’acquérir un moulin à poivre! Jusqu’à présent, on utilise à la maison du poivre déjà moulu et ça me chagrinait un peu. (Je sens que ça vous passionne ce que je vous raconte là, mais courage, on est quasiment au bout du post.) Bref, bien décidé à mener à bien mon projet poivré, je me plante au rayon ustensiles de cuisine de mon Monoprix préféré, prêt à saisir l’objet de mes rêves : qu’elle ne fût pas ma stupeur de découvrir que le dit-moulin est désormais… électrique ! Je reste pétrifié, faisant ainsi face de longues secondes au moulin et à ses voisins le presse-agrumes et la râpe à fromage, à la fois désespéré et en colère. (Là, je parle de moi, le presse-agrumes et la râpe à fromage semblaient aller très bien, merci.)
Je réalise à cet instant que ce moulin, si je le désire tant, c’est moins pour voir les petits morceaux de poivre fraîchement concassés tomber dans mon saladier que pour son bruit si spécial, bien sûr ! Le moulin à poivre fait-il « Chcroutch Chroutch » ou bien plutôt « Chruite Chruite », peu importe, l’essentiel est qu’il résonne à vos oreilles et que son son (fallait que je la fasse !) si mélodieux et caractéristique propulse votre imaginaire quelque part, peut-être dans la cuisine de votre grand mère, cuisinière émérite, ou vers le souvenir d’une splendide entrecôte lors d’un barbecue dominical… Et voilà que le soit disant « progrès » nous échange ce bonheur sublime contre un son électrique ! Et pour quelle raison ?! Est-ce trop fatigant pour notre auguste poignet de donner trois petits tours de moulin à poivre ?!
Chère Maïté, je vous en prie, faites quelque chose…
Allez, pour le plaisir ! : Téléchargement Poivre
* : A contrario, Alain Resnais, lui aussi passionné par le son, lorsqu’il fait son casting, pense en premier lieu au mariage des voix de ses comédiens. De même, lors de la préparation d’un film, se préoccupe-t-il, d’abord, du choix de son musicien.