Saint-Herblain (banlieue de Nantes), au début des années 70.
J’étais en CM1, où je continuais mon parcours d’élève médiocre (voir VIVE LES CANCRES !). Il faut dire que j’avais à l’époque une écriture franchement exécrable : les pédopsychiatres penchés sur mon cas découvrirent, stupéfaits, que je présentai l'étrange particularité de n'être ni gaucher, ni droitier ! Je n’avais donc même pas, selon l’expression populaire, « deux mains gauches », mais plutôt… pas de main du tout ! Autre souci, j’avais les pieds plats et je courais donc « en canard », d’une façon semble-t-il irrésistible, à voir mes camarades se tordre de rire lors du cours de gym. De plus, malgré tous mes efforts, j’étais à la course d’une lenteur incroyable, ce qui représente quand même un handicap grave dans une cour de récréation…
Tout ça pour dire que cet univers scolaire n’était pas exactement un terrain favorable à mon épanouissement et mes notes s’en ressentaient. Les deux matières où je prenais néanmoins un certain plaisir étaient la récitation et la rédaction, sans que mes résultat dans cette dernière, ne soient d’ailleurs prodigieux.
Et puis un jour, Monsieur BAYOR nous rendit les copies d’une rédaction. Je n’aimais pas trop cet instituteur car il avait pris comme tête de turc de la classe son propre fils, un garçon gentil, bon élève et qui avait même un an d’avance !
Pourtant, à cette minute, j’adressai un grand sourire à Monsieur BAYOR qui s’approchait de moi pour me rendre mon supposé "chef d’œuvre" : je savais en effet qu’au regard du sujet proposé, j’avais rendu un texte original (donc intéressant !). Mais bizarrement, au lieu de l’air béa d’admiration qu’il était censé présenter, je le vis s’avancer près de mon pupitre le sourcil sévère, bref avec la mine renfrognée qu’il présentait à chaque fois qu’il me rendait une copie ! Je relis dix fois ma note : 3 sur 10 ! Je me décompose, je n’arrive pas y croire : c’est un peu comme si on m’avait dit que mon club favori le F.C. NANTES allait descendre un jour en ligue 2 (SIC !) ou que les Cahiers du Cinéma organisait une rétrospective Luc BESSON… Je trouve finalement l’explication : Monsieur BAYOR s’est juste trompé de copie et m’a distribué celle d’un autre élève ! Mais en fait non, c’est bien mon écriture de psychopathe avec ses lettre approximatives qui noircit la feuille. Je profite alors du remue–ménage de la distribution des copies pour récupérer autour de moi quelques rédactions de mes camarades et je les survole rapidement. Je suis consterné : comme je le craignais, ils ont presque tous rendu le même texte, s’engageant comme des agneaux dans la voie attendue, dans le cliché parfait. Pareille injustice me déchire le ventre ! Elève timide, pour la première (et unique fois !) de mon parcours scolaire, je m’en vais bravement à la fin de la journée défendre mon bout de gras avec mon bourreau, lui expliquant ma surprise, ma légitime déception, et même mes doutes sur le bien-fondé de sa correction ( !). Monsieur BAYOR, sans émotion aucune, me confirma vertement son jugement et sa notation.
Ce jour-là, je compris que la vie n'était pas simple, et même injuste.
Bien des années plus tard, la merveilleuse phrase de l’ami Gustave allait me rappeler que j’étais probablement dans le vrai, avec cette condition nécessaire (mais non suffisante !) :
« Pour avoir du talent, il faut être convaincu qu’on en possède. » Gustave FLAUBERT
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