A la demande de l’un de mes amis producteurs, je travaille en ce moment sur le concept d’une série documentaire sur le thème de l’École. Pas très humoristique, me direz-vous, mais c’est un sujet qui me tient très à cœur, déjà parce je fus totalement réfractaire à l’école.
Je ne fus pourtant jamais un cancre à proprement parler : je n’ai pas eu ce courage et je le regrette ! Disons plutôt que j’étais un cancre «masqué», c’est à dire un élève extrêmement médiocre et paresseux mais jamais non plus dans les trois derniers. Le cancre, lui, est notoirement nul, et l’assume. Etre cancre, c’est un statut dans une classe. Mais il faut quand même pour cela avoir un mental hors norme… J’ai connu des cancres, incroyablement brillants dans leur discipline - être la bête noire du corps professoral tout entier - sans jamais perdre leur sourire, ni leur bonne humeur ! Malgré la douleur profonde qu’il y a à être un cancre, je n’ai jamais connu de cancres triste, alors que des premiers de la classe sinistres ou dépressifs, alors là oui, un paquet ! J’ai toujours eu le sentiment que les cancres avaient compris qu’ils étaient en fait les plus forts, puisque déjà capables de se soustraire à l’autorité. Une autre question est de savoir pourquoi, à ma connaissance, les cancres ne sont jamais des filles ?!
Comme les cancres, j’étais donc inadapté au système scolaire français et plus précisément au cours magistral. Déjà parce que mon cerveau ne me permettait pas d’écouter parler un professeur plus de 5 minutes…
De façon systématique, mon esprit s’évadait (au choix) vers tous les noms des buteurs du Football Club de Nantes depuis le début du championnat, l’ascension d’un jeune réalisateur hors norme nommé S. Spielberg, le look franchement dominatrice de ma prof d’allemand ou encore les frites savoureuses du samedi à la cantine. J’avais aussi mis au point un jeu en salle de classe complètement stupide mais dans lequel pourtant j’excellais, suite à un entraînement constant : sans montre, il s’agissait de deviner l’heure, à la minute près… Lorsqu’on s’ennuie à mourir, chaque minute compte pour une heure : il était donc logique que je parvienne à ce prodige !
Depuis, j’ai toujours ressenti une tendresse particulière pour les cancres, quels qu’ils soient. J’ai l’impression que nous formons, cancres passés, présents et futurs, une espèce de joyeuse confrérie secrète…
Cette période scolaire m’aura au moins permis de développer au fond de la classe une aptitude à la rêverie, «matière» pour laquelle je possédais déjà un don certain.Aujourd’hui, de talentueux producteurs me donnent quelque argent - aussi - pour rêvasser (la rêverie est bien sûr le premier outil du scénariste) et c’est somme toute assez logique puisque c’est ce que je sais faire de mieux ! (Enfin quand même moins bien que le gratin dauphinois.)
A propos des cancres, je viens de lire dans « THE FINANCIAL TIMES » je crois, ou bien peut-être dans « ELLE », une interview for réjouissante de Daniel PENNAC par Marie-Françoise COLOMBANI. Dans son dernier livre, « Chagrin d’école », ce très célèbre auteur raconte le cancre qu’il a été jusqu’à sa rencontre avec trois professeurs formidables lors de sa seconde terminale, à l’âge de 20 ans.
Alors qu’on lui demande ce qu’auraient pu faire à l’époque ses parents pour l’aider, D. PENNAC explique que Freud disait que tout ce que font les parents est, par définition, mal fait. Ils sont trop impliqués, paralysés par leur propre angoisse et rongés d’une inquiétude permanente. Et l'auteur termine alors par cette merveilleuse anecdote :
« Dernièrement, ma mère, quasi centenaire, regardait une émission sur un auteur qu’elle connaît bien : moi. A la fin, qu’a-t-elle dit à mon frère ?
- «Tu crois qu’il s’en sortira un jour ? ».
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