Même si au regard de son
importante filmographie, il me reste encore beaucoup de films de Kurosawa à découvrir, ce dernier est l’un de mes réalisateurs chouchous, et
celui qui n’a pas vu le prodigieux Ran peut considérer qu’il n’a jamais vu un
film de sa vie !…
J’étais donc très impatient de
découvrir hier soir (petit coup de pub au Saint-Lazare Pasquier : une
séance à 3,50 euros est un bienfait pour l’humanité), le cultissime
« Rashômon ».
Le film m’a pourtant étrangement
laissé sur ma faim et je lui vois pas mal de failles, notamment une happy end
plutôt plaquée et qui sied mal au propos du film : dénoncer le manque
d’honnêteté de l’être humain par rapport aux actes abjects qu’il commet parfois…
Il m’a semblé aussi que les
scènes de procès à l’extérieur, sans voix off ni contrechamps était très
théâtrales, à l’opposé du reste du film. D’autre part, c’est un détail - mais
le cinéma n’est-il pas juste une somme faramineuse de détails - la pluie diluvienne
avec ses gouttes énormes qui tombe pendant une bonne partie du film ne m’a pas
semblé du tout réaliste ; enfin le jeu des comédiens m’a paru parfois un
peu forcé…(J’ai lu ensuite que c’était une volonté de Kurosawa d’aller chercher
l’essence du cinéma muet.)
Le pitch était pourtant
prometteur et pour l’époque narrativement audacieux : Un huis clos dans
une forêt entre un bandit, un couple et un bûcheron sera le théâtre d’un drame
mais chaque intervenant racontera au cours du procès sa propre version des
faits, totalement incompatible avec la version des autres protagonistes…
Malgré un scénario somme toute un
peu bancal, reste néanmoins une superbe photo en noir et blanc et surtout une
mise en scène dans les nombreuses scènes de forêt tout à fait magistrale. Le
film obtient d’ailleurs le lion d’or au festival de Venise en 1951. A l’époque,
Kurosawa est au plus mal, un important studio vient brutalement de se
désengager de son prochain film et Aki est au fond du trou… Soudain, il apprend
qu’il vient de remporter ce prix très prestigieux à Venise, ce qu’il ne pouvait
même pas espérer puisqu’il ignorait même que son film y était projeté !…
Formidable histoire narrée dans son livre intitulée « Comme une
autobiographie » publiée dans la collection « Petit bibliothèque des
Cahiers du cinéma », petit bijou d’intelligence et d’humanité…
Dans ce livre, curieusement
interrompu en plein milieu de son œuvre, soit juste après Rashômon, film qui le
consacrait définitivement, le réalisateur ne se fait aucun cadeau. Où l’on
apprend éberlué que cet immense artiste était limite attardé mental à l’école
et qu’il s’est toujours considéré comme quelqu’un de particulièrement
lâche ! Sans jamais tomber dans le piège de la fausse modestie, on sent
tout au long du livre un homme qui pose juste un regard dénué d’indulgence et
de commisération sur sa petite personne et ça force le respect.
A travers de multiples histoires,
on découvre de l’intérieur ses années de scénariste puis de réalisateur durant
ses douze premiers films, dont cette savoureuse anecdote à propos de la
terrible censure sévissant durant la guerre du pacifique :
« A cette époque, les
censeur du ministère de l’Intérieur semblaient être dérangés mentalement. Ils
se comportaient tous comme s’ils souffraient de complexes de persécution, de
tendances sadiques et de manies sexuelles diverses. Une simple scène de baiser
dans un film étranger, ils la faisaient couper. Les genoux d’une femme
apparaissaient : ils coupaient la scène. De telles choses, selon eux,
attisaient les désirs charnels. Ils débloquaient tellement,
ces censeurs, qu’ils finissaient par trouver obscène la phrase suivante :
« Bâillant impatiemment, la porte de l’usine attendait que s’engouffrent
les étudiants-travailleurs. »
Que dire ? Ce verdict d’obscénité fut
émis par un censeur en réaction à mon scénario sur un corps féminin de
volontaires, Ichiban tsukushitu (Le plus beau), en 1944. Je n’arriverais pas à
saisir ce qu’il y avait d’obscène dans cette phrase et probablement vous-mêmes
n’y arriveriez pas non plus. Mais pour mon censeur et son esprit dérangé, cette
phrase était indiscutablement obscène. Il m’expliqua que le mot
« porte » lui suggérait très précisément le vagin ! Pour ces
gens qui souffrent de problèmes sexuels, tout et n’importe quoi les excite
charnellement. Comme ils sont eux-mêmes obscènes, tout ce que voit leur regard
obscène est naturellement perçu comme tel. Ce n’est rien d’autre que de la
pathologie sexuelle. ».