Hier, dans une rame de métro presque déserte, au bout de la ligne 9. Assis sur ma banquette près de la fenêtre, je suis plongé dans la passionnante lecture de « L’art des séries télé ou comment surpasser les Américains » (on peut toujours rêver !). Je relève la tête car un jeune homme dans la trentaine, d’origine maghrébine, s’assoit presque en face de moi, mais côté couloir. Il me regarde. Je suis troublé car mon camarade de transport présente une malformation du visage au sens où son oeil gauche est pratiquement fermé. J’essaie de replonger dans mon ouvrage mais je m’interroge surtout sur la difficulté de vivre avec une malformation, thème qui m’est très cher… Enfin, je reprends ma lecture, d’en l’espoir fou d’être enfin le nouveau Marc Cherry ou J.J. Abrams* quand l’inconnu au regard étrange s’adresse à moi d’une voix douce et souriante :
- Vous êtes artiste ?!
- Heu… Pardon ?!
- Vous êtes artiste ?!
Whoua la question qui tue ! Il y a encore 5 ans, en écoutant pareille question, je crois que j’aurais carrément vomi aussi sec. (Même si l’adjectif « sec » s’apparente généralement mal avec le nom vomi.) Maintenant, j’assume plus et je ne sacralise plus ce terme d’artiste, tellement flou par ailleurs, et que je pensais réservé à une sorte d’élite à laquelle la piètre image que j’ai de moi-même m’interdisait l’accès ! Autre question, comment a-t-il « deviné » ?! A cause du titre de mon livre ?! Mais celui-ci est ouvert donc impossible pour mon voisin d’en apercevoir la couverture ! Mystère…(Plus tard, je réalisai que ma consternante coiffure dite « en pétard » que j’arborai ce jour-là l’avait peut-être mis sur la piste…)
Je finis par m’entendre lui répondre, tout en me sentant un peu sot malgré tout :
- Heu… Oui…
L’homme me regarde maintenant comme si j’étais Jésus Christ et sourit.
- Ah ! C’est bien ! C’est bien… Et vous faites quoi ?!
- Scénariste…
- Ah c’est bien !…
Je le dévisage franchement. Une immense douceur se dégage de son regard asymétrique. Il reprend :
- Moi j’ai fait tout le contraire de ce que je voulais ! J’ai fait des études de finance !
- Vous êtes encore jeune ! Il n’est pas trop tard ! Il n’est jamais trop tard !…
Silence. Mon interlocuteur reprend.
- Et vous travaillez déjà ?!
- Heu... Oui !
( "Déjà" : Mazette ! Ayant bien entamé ma quarantaine, il est heureux que j'aie commencé à travaillé ! Il se confirme que ce jeune financier a un problème de vue très important...)
Mais l'homme me regarde avec une admiration encore plus intense : cette fois, je suis Jésus Christ + Mahomet ! N'ayant pas du tout l'habitude se susciter un tel enthousiasme, je crois bon d'ajouter, déterminé à faire comprendre à mon "fan" que je suis loin d'être J.C. Carrière :
- Mais c'est dur ! Très dur...
Mais rien n’y fait, l'homme continue de me sourire éperdument ! Puis il reprend son explication au sujet de la soi-disant médiocrité de son parcours…
- Maintenant je travaille dans la finance : tout le contraire ! Vraiment tout le contraire !…
J’arrive à ma station. Je me lève à regrets, un peu ému, toujours dans mon rôle de coach à deux balles…
- Mais si le désir est toujours là, vous ferez un jour ce que vous avez envie de faire, c’est certain !
Il me sourit. A moitié convaincu. La sonnerie retentit. Je le salue et je descends vite fait.
En me rappelant fort opportunément la chance qui est la mienne, comme ce jeune financier au regard doux m’a fait du bien ! Un artiste du quotidien ou alors un ange, sans aucun doute…
* Créateurs respectifs des Desperates… et de Lost.
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